Et pour rester dans le ton, une petite suite que je dédicace particulièrement à
Azrael, qui sait apprécier les belles histoires.
Quote:
Auberge du Rat Dingue, quelque part en Artois....
La jeune femme savourait ces quelques instants de calme après la tourmente de la nuit précédente. Les troupes françaises les avaient attaqué alors qu'il dormaient, causant des dégâts considérables, fauchant nombre de valeureux guerriers alors que les brumes du sommeil obscurcissaient encore leurs réflexes. Dame Fortune semblait s'être penchée particulièrement sur elle, l'épargnant alors que nombre des ses compagnons étaient tombés sous les coups sournois des troupes de Mahaut d'Artois, dont Frantz, son amant du moment, la jugulaire transpercée d'une flèche alors qu'il tentait de se lever de sa couche, inondant les couvertures et leurs corps nus de son sang cramoisi.
La discipline des troupes de la Gesellchaft avait montré une fois de plus son efficacité redoutable. Les mercenaires, s'étant vite repris, repoussèrent l'ennemi rapidement. Ils avaient même capturé vivant le commandant de la troupe adverse et réussi à lui faire cracher le nom du commanditaire de cette attaque déloyale. La Gesellchaft n'appréciait pas du tout de se faire surprendre de la sorte, et sa vengeance était en général à la mesure de sa fureur et de son efficacité légendaire.
Loin des combats et de la fureur des batailles, hors d'atteinte des cris d'agonie des mourants éviscérés par les armes ennemies, revêtue d'une robe simple mais fonctionnelle, elle appréciait le calme de l'auberge où elle avait décidé de passer la soirée pour noyer son chagrin, buvant tranquillement une pinte de bière locale, son regard posé rêveusement sur le soleil couchant qui embrasait la plaine... une boule lui serrait la gorge au souvenir des étreintes de son compagnon disparu.
Le tavernier, un trentenaire jovial et visiblement prudent, n'avait pas posé de questions embarrassantes sur ses cheveux couleur de blés mûrs coupés si courts, ni sur les ecchymoses qui lui garnissaient les avant-bras, laissés nus par sa robe de tissus grossier et encore moins sur les sillons clairs et humides qui maculaient ses joues poussiéreuses.
Elle s'était tout de suite entendue avec Stella, la petite serveuse timide, jeune fille maigrichonne qui ne devait pas manger tous les jours à sa faim, qui lui avait dégotté une table calme, à l'écart de celles occupées par les habitués, de simples gueux qui préféraient oublier leur peine et leur honte dans un mauvais vin coupé plutôt que de laver l'affront l'arme à la main comme elle l'avait fait la nuit dernière.
Le calme ne fut cependant que de courte durée, une bande de soudards arborant les couleurs de la couronne française surgissant dans les locaux, à force de cris et de rires gras, faisant fuir les occupants précédents, peu désireux de se frotter à ces hommes belliqueux. L'un d'eux commanda sans retard d'une voix forte habituée à donner des ordres :
- A boire, tavernier ! Amène ta meilleure vinasse pour la garde personnelle de son Éminence Johannes de Chartres !
La pauvre petite serveuse fut rapidement la cible de l'attention grivoise de l'un des rustres, ses grosses mains calleuses s'attardant lubriquement sur le corps mince de la jouvencelle qui venait de leur apporter un pichet de jus de treille, alors que le tenancier n'osait intervenir pour protéger son enfant, intimidé par l'aspect brutal des nouveaux venus, armés de pied en cap.
Depuis sa table à l'écart, la jeune femme avait distinctement entendu le nom du religieux... un nom qui lui avait fait dresser l'oreille et éveillé son attention. La haine commença à dissoudre la boule dans sa gorge, la remplaçant par une ire froide et déterminée. Ce fils de porc était celui qui avait commandité l'attaque contre leur camp la nuit dernière.... décidément, la chance semblait malgré tout la chérir en cette journée.
L'attitude des malotrus, de plus en plus entreprenants vis à vis de la pauvre Stella, la faisait grincer des dents, ajoutant à sa colère, mais le pire était la réaction indolente et amusée du prêtre, un pourceau gras et suffisant, visiblement gavé de vin et de mets fins. L'écclésiastique riait de bon cœur avec les épéistes au spectacle des déboires de la pauvre Stella, qui tentait sans succès de se dépêtrer des étreintes du soldat. Décidément, tout était à jeter dans cette Église honnie qui avait renié sa famille...
Lorsque la gamine put enfin se libérer des goujats en trébuchant, les larmes aux yeux, la jeune femme lui fit machinalement un signe de réconfort, attirant par ce geste l'attention des miliciens sur elle. L'un d'eux, celui qui paraissait plus âgé et sûr de lui, se leva immédiatement et se dirigea sans hésitation vers sa table, un sourire vicieux marquant ses lèvres. Arrivé face à elle, il lui adressa la parole de sa voix rocailleuse :
- Dis moi ribaude, de quel droit tu oses nous r'garder comme ça ? T'es jalouse ? Tu veux qu'mes hommes et moi on s'occupe aussi de ton cas ? Il semble que t'as pas eu ton content d'vrais mâles ces derniers temps, j'me trompe ?
Puis, se tournant vers ses compagnons, il les interpella en ces termes :
- Eh ! Les gars ! Y a là une pucelle qui demande qu'a perdre sa fleur, ça vous tente ?
Les paroles du rustre résonnant encore à ses oreilles, son sang germain bouillonnant dans ses veines, la jeune femme attrapa vivement la main du serjant qui se tendait nonchalamment vers son corsage, lui brisant net le poignet d'une simple torsion. L'homme afficha un air surpris, tant par la douleur, l'audace de la damoiselle que par la force de sa poigne que sa silhouette fine semblait contredire. Elle le regarda droit dans les yeux, son regard d'émeraude vrillé sur la pupille terne du soldat, un air de défi et de commandement farouche y allumant une étincelle de mauvais aloi, et lui susurra ces mots, comme une confidence :
- Mon cher imbécile, sachez que vous vous adressez à la baronne Gerthrud Von Markirch, commandant la troisième phalange de la septième faction de la Gesellchaft des Engels, basée à quelques lieues d'ici... et que vos troupes de sagouins ont vicieusement attaqué la nuit dernière.
A cet instant du discours, une flamme de haine pure embrasa les prunelles de la jeune guerrière, qui continua d'une voix glaciale :
- Et maintenant que vous connaissez mon identité, je me vois au regret de vous informer que je suis malheureusement dans l'obligation de vous trucider séance tenante, vous et vos misérables traîne patins, ainsi bien entendu que le goret en soutane qui vous accompagne.
Sur ces mots, elle se leva avec une vivacité surhumaine, plongeant une épée acérée semblant surgir du néant, dans la trachée de l'homme. Puis se saisissant d'un tabouret en guise de bouclier, levant son arme luisante du sang qu'elle semblait absorber, elle se rua en hurlant rageusement sur les combattants restants, encore stupéfaits, qui lui faisaient face.
Bloquant adroitement les coups d'épée de son bouclier improvisé, ripostant à chaque attaque, Gertrud mis rapidement un terme à la vie de ses adversaires, gardant le religieux pour la fin. Elle s'avança tranquillement vers sa silhouette tremblante, un rictus mauvais sur les lèvres. Celui-là allait souffrir, lentement...
…
Quelques minutes plus tard, le calme était revenu dans la taverne, jonchée de corps sans vie. Stella regardait avec crainte et admiration la jeune femme à l'épée et aux vêtements couverts de sang et de tripes, qui n'avait reçu que de quelques égratignures et sortait des lieux comme si de rien n'était, les traits désormais apaisés...
La bourse pansue qu'elle avait déposé sur sa table juste avant de partir était pleine de pièces d'argent, qui bien que d'une facture inhabituelle, valaient bien plus que ce qu'il fallait pour réparer les dégâts (et faire disparaître les corps) et suffisamment pour acheter leur silence, à son père et elle.
Plaine d'Artois, quelques dizaines de minutes plus tard...
Peter, qui montait la garde à l'écart du camp, hors des lumières des feux, afin de surprendre tout mouvement suspect, sentit une présence non loin de lui. Il leva les yeux de l'épée qu'il affutait silencieusement, les sens en éveil, prêt à donner l'alarme pour éviter un guet-apen comme celui subit la veille. Du coin de l'œil, il avait aperçu une ombre qui s'approchait du périmètre du campement. En alerte, il se releva d'un bond, sa lame prête à frapper l'intrus, un cri d'alerte au bord des lèvres. C'est alors qu'il reconnut la silhouette en armure intégrale d'un noir luisant rehaussé d'or qui se dirigeait calmement vers lui dans la lumière lunaire. Il sortit tranquillement de l'ombre protectrice du bosquet qui le masquait et prononça ces quelques mots :
- Alors, ça a été, cette balade en ville, monseigneur ?
- La routine, mon bon Peter, la routine... déclara Thrud Von Markirch d'une voix lasse.